L’école virtuelle avec ou sans pandémie…
Est-ce la solution de l’avenir ?
La pandémie de COVID-19 a été un coup de tonnerre dans le ciel bleu du monde scolaire. Du jour au lendemain, au Québec et dans le monde entier, de nombreuses écoles ont dû fermer leurs portes, imposant l’enseignement à distance comme la seule avenue possible pour que les enfants puissent poursuivre leur cheminement scolaire.
L’école virtuelle possède plusieurs caractéristiques qui peuvent être perçues, par certains acteurs du monde scolaire, comme étant des avantages qui rendent efficace ce type d’école. Dans les premiers mois de l’année 2020, les parents des enfants fréquentant l’enseignement en ligne ont sans doute constaté que leur enfant se retrouvait dans un contexte rappelant globalement l’enseignement individualisé ou personnalisé, dans la mesure où leur enfant devait faire seul ou avec le soutien parental les activités d’apprentissage à l’écran et sur papier. Certains acteurs du monde scolaire peuvent percevoir cette individualisation reposant sur le dynamisme des enfants comme un élément potentiellement positif de l’école virtuelle, argument de vente d’ailleurs invoqué pour encourager les inscriptions dans ce type d’écoles (Barbour, 2019). Nous verrons que l’enseignement individualisé n’est pas un gage de succès.
L’école virtuelle implique l’emploi massif des technologies. Encore une fois, certains acteurs du monde scolaire peuvent considérer qu’un plus grand recours aux technologies est un élément favorable à l’apprentissage des élèves. Nous verrons que les données actuelles en la matière nous invitent à réfréner grandement notre enthousiasme.
La classe inversée présente avec l’école virtuelle une parenté certaine. La classe inversée consiste à diminuer l’enseignement en présentiel à l’école pour le remplacer par des clips vidéo, des exercices, des textes explicatifs accessibles sur Internet que les élèves consultent d’eux-mêmes à leur convenance. Les périodes de temps en présentiel à l’école sont alors consacrées aux questions des élèves, à la rétroaction et à l’approfondissement de certains contenus. En ce domaine, comme nous le verrons, les recherches sont rarissimes.
La classe inversée est une version partielle de l’école virtuelle puisque cette dernière pourrait se définir succinctement par un enseignement et un apprentissage intégral en ligne. L’école virtuelle s’est imposée au monde entier en avril 2020. Cependant, l’idée de l’école virtuelle commence à la fin du XXe siècle et des expérimentations, des recherches ainsi que des rapports en ont mesuré les effets. Malheureusement, nous verrons que les résultats ne sont pas invitants.
Donc, l’école virtuelle, est-ce la solution de l’avenir, avec ou sans pandémie ?
Le quotidien d’un élève à l’école
Le quotidien scolaire d’un élève inscrit à une école virtuelle se résume à être en interactions principalement avec un écran. En effet, ces interactions consistent à regarder des vidéos d’explications préenregistrés, à utiliser des applications informatiques présentant un contenu et des exercices précis, à faire des recherches et des consultations de sites internet, à lire des documents divers affichés à l’écran ou sur papier. L’ensemble de ces activités d’apprentissage peuvent se retrouver sur une feuille de route pédagogique, dont le contenu varie en fonction du degré scolaire et du rendement de l’élève. À cela s’ajoutent des évaluations formatives permettant de situer le cheminement de l’élève, tout en orientant la planification de la suite des activités d’apprentissage. Les rencontres synchrones à l’écran (en direct) avec le titulaire de l’élève ou un enseignant constituent un faible pourcentage du total des activités d’apprentissage. Des appels téléphoniques sont généralement prévus avec l’élève et ses parents. Ce portrait correspond assez bien à un enseignement individualisé comprenant un fort support technologique. L’école virtuelle est d’ailleurs souvent « vendue » aux parents et au monde scolaire comme étant une école offrant un enseignement individualisé et personnalisé (Barbour, 2019).
Les effets de l’enseignement individualisé en présentiel
En 2019, l’organisme australien Education Endowment Foundation (EEF) a produit une recension de recherches, principalement composée de méta-analyses, sur les effets de l’enseignement individualisé du préscolaire au postsecondaire. L’enseignement individualisé y est défini comme un système d’enseignement où les élèves/étudiants travaillent à leur propre rythme sur des activités personnalisées guidées pendant qu’ils sont à l’école. Divers modèles d’enseignement individualisé ont été testés au fil des ans, en particulier dans des matières comme les mathématiques, où les élèves/étudiants accomplissent d’eux-mêmes et à leur propre rythme les activités d’apprentissage. (Pour une meilleure compréhension des résultats qui suivent, veuillez-vous référer aux deux tableaux suivants.)
Méta-analyse
Une méta-analyse est une recension des recherches scientifiques sur un sujet en particulier, par exemple l’enseignement individualisé, afin d’en soupeser l’effet sur le rendement (ou d’autres variables : reprise d’année, estime de soi, etc.). Pour chaque recherche retenue, une grandeur d’effet est calculée et la moyenne de ces grandeurs d’effets est réalisée. La méta-analyse permet d’avoir alors une idée du poids sur le rendement (ou autres variables) du sujet analysé. Quoique la méta-analyse n’est pas exempte de failles possibles, elle demeure un moyen important d’éclairer les débats en pédagogie.
Grandeur d’effet
La grandeur d’effet ou la taille d’effet d’une méta-analyse correspond à un effet moyen calculé à partir des grandeurs d’effets de chacune des recherches retenues. Le terme écart-type peut parfois être une équivalence de la grandeur d’effet. Une grandeur d’effet qui peut être positive ou négative s’exprime par un nombre décimal. Il faut savoir que généralement une grandeur d’effet est jugée petite si elle est supérieure à 0,20 et inférieure 0,49, qu’elle est moyenne si elle est supérieure à 0,50 et inférieure à 0,79 et qu’elle est forte si elle est supérieure à 0,80. On peut aussi considérer, à titre analogique, qu’un effet positif de 1,0 serait un gain d’un an d’apprentissage de plus qu’une autre approche pédagogique, qu’un effet de 0,50 serait l’équivalent d’une demi-année d’apprentissage scolaire de plus et qu’en corolaire, un effet de – 0,50 (donc négatif) serait égal à une régression d’une demi-année d’apprentissage, par rapport à une autre approche.
Les résultats des méta-analyses compilées par EEF varient de – 0,07 à 0,41 écart-type avec un résultat médian de 0,19, ce qui est faible, même selon les normes retenues par EEF. Nous attirons votre attention sur le fait que ces résultats sont majoritairement obtenus en présentiel. De plus, d’autres chercheurs (Bangert et al., 1983) indiquent que l’enseignement individualisé peut être encore moins efficace au primaire et au début du secondaire. Est-ce que l’enseignement individualisé deviendrait plus efficace en ligne qu’il ne l’est en présentiel ? À moins d’adopter une perspective foncièrement jovialiste, il faut répondre que cela est peu probable.
Les effets des technologies en présentiel
Un développement plus exhaustif de ce qui suit se retrouve dans deux autres articles (Boyer et Bissonnette, soumis pour publication).
Au cours des quinze dernières années, Robert Slavin et ses collaborateurs de l’université John Hopkins se sont intéressés aux effets de la technologie en présentiel sur le rendement des élèves en mathématiques et en lecture. Slavin et ses collègues rédigent des méta-analyses du type de la « meilleure preuve » (Best Evidence). Les recherches retenues dans ces méta-analyses doivent répondre à des critères très rigoureux.
Slavin et son groupe de recherche (2009) observent, à partir des résultats provenant de 346 recherches présentées dans cinq méta-analyses publiées antérieurement, une taille d’effet très faible de 0,11 en ce qui a trait à l’enseignement assisté ou réalisé par ordinateur, pour l’apprentissage des mathématiques et de la lecture auprès des élèves du primaire et du secondaire. En 2019, dix ans plus tard, Slavin publie de nouveaux résultats avec des recherches plus récentes et obtient un effet de 0,05 pour le recours aux technologies sur le rendement des élèves en mathématiques et en lecture au niveau élémentaire et secondaire. Cette diminution importante de l’effet des technologies en dix ans est peut-être due à la perte de l’effet de nouveauté maintenant que ces technologies sont grandement accessibles. Une méta-analyse encore plus récente (Pellegrini et al., 2020) sur l’usage du numérique en mathématique, du préscolaire au secondaire, présente une grandeur d’effet moyenne près de zéro (0,02 et 0,03), ce qui tend à confirmer les résultats de Slavin sur le sujet au cours des dernières années.
Ces résultats montrent que le recours aux technologies en présentiel en salle de classe a un effet oscillant entre faible et négligeable sur le rendement des élèves. Comme Ravitch (2001) l’a déjà mentionné, les révolutions technologiques des XIXe et XXe siècles en classe (la radio, le cinéma, la télévision, l’audiovisuel, etc.) n’ont pas eu les effets escomptés sur l’apprentissage des élèves. Est-ce que l’effet des technologies du XXIe siècle pourrait être plus élevé lorsque le titulaire est absent et que l’élève est en ligne ? Peu probable, mais allons voir.
Les effets de la classe inversée en mi-présentiel
La classe inversée est un courant qui privilégie un usage important des technologies et des activités en ligne, comme l’école virtuelle. Tricot (2017) mentionne qu’il n’existe aucune étude contrôlée et rigoureuse ayant montré les effets positifs de la classe inversée. Toutefois, Setren et al. (2019) réalisent une recherche avec une répartition aléatoire d’étudiants universitaires pour l’enseignement des mathématiques et de l’économie. Paradoxalement, même s’ils observent des effets positifs à court terme pour la classe inversée en mathématique seulement, ils ne recommandent pas franchement la classe inversée, car « … malgré les effets à court terme en mathématiques, nous ne constatons pas de gains à plus long terme dans l’apprentissage et la classe inversée exacerbe l’écart de performance [entre les étudiants] au lieu de le réduire ». L’augmentation des écarts de rendement s’explique probablement par le fait que la classe inversée nécessite une motivation et une autonomie élevées des étudiants. Si le rendement d’étudiants universitaires parmi les plus faibles et sans doute les moins autonomes est négativement influencé par la classe inversée, peut-on légitimement s’attendre à de meilleurs résultats avec des élèves du primaire et du secondaire ? Encore une fois, les chances sont minces, mais allons voir.
Les effets de l’école virtuelle
En 2019, Molnar et ses collaborateurs (2019) présentent une analyse exhaustive des données provenant des écoles virtuelles sur le territoire étatsunien. Dans ce méga rapport (Miron et al., 2019), l’efficacité des écoles étatsuniennes offrant un enseignement virtuel à partir des résultats scolaires des élèves provenant de 21 États est décrite. Ces chercheurs concluent que 51,5 % des écoles virtuelles primaires et secondaires obtiennent des résultats scolaires médiocres. Ces auteurs recommandent même que des sanctions soient appliquées aux trop nombreuses écoles virtuelles qui sous-performent. Dans ce même rapport, Barbour (2019) recense, pour sa part, 35 rapports scientifiques, couvrant 14 États américains, rédigés entre 2006 et 2019 et portant sur les effets des écoles virtuelles du primaire et du secondaire. Tous les rapports colligés constatent la faiblesse importante des élèves fréquentant les écoles virtuelles comparativement aux écoles régulières en présentiel, pour tous les élèves, incluant les plus faibles. Sans surprise, plusieurs de ces rapports demandent à l’État l’ayant commandité de freiner la croissance des écoles virtuelles tant que ce modèle pédagogique sera aussi néfaste pour les élèves qui y participent. Barbour (2019) conclut : « Pour l’instant, il y a des problèmes sérieux concernant l’efficacité de plusieurs modèles d’écoles virtuelles. Jusqu’à ce que ces problèmes soient adéquatement résolus, les politiciens devraient limiter ou considérer un moratoire sur la création de ce type d’écoles. ».
Conclusion
L’enseignement individualisé, généralement en présentiel, a un effet globalement faible et des données semblent indiquer que l’effet pourrait être moindre au primaire et au début du secondaire. L’usage des technologies, en présentiel, a un effet marginal sur les apprentissages. L’état famélique de la recherche concernant la classe inversée, en présentiel partiel, ne permet pas d’avoir une vue claire sur la question, et les auteurs d’une recherche expérimentale récente n’en recommandent pas l’usage parce que cette approche amplifie les écarts de rendement. En ce qui a trait à l’approche même de l’école virtuelle, les résultats sont fortement négatifs.
Nous voulions voir et nous avons vu. L’école virtuelle, est-ce la solution de l’avenir, avec ou sans pandémie ? Dans l’état actuel de la recherche scientifique, la réponse est vigoureusement non. En conséquence, il est impératif que les gouvernements fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas être obligés de fermer les écoles, et cela, afin de favoriser la réussite, tant au niveau des apprentissages scolaires que du socioaffectif (DELVE Initiative, 2020) des enfants. L’école virtuelle et l’enseignement à distance ne doivent s’imposer que si la Santé publique ne voit pas d’autres solutions que de fermer les écoles. Cela devrait être un choix de dernier recours.
Photo : Adobe Stock
RÉFÉRENCES
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Boyer, C. et Bissonnette, S. [soumis pour publication]. Enseigner à distance, non par choix, mais par obligation. Formation et profession.
Bissonnette, S. et Boyer, C. [soumis pour publication]. Le mirage de l’enseignement à distance. Revue Apprendre et enseigner aujourd’hui.
DELVE Initiative (2020). Balancing the risks of pupils returning to schools. DELVE No. 4. Publié le 24 juillet 2020. Repéré au http://rs-delve.github.io/reports/2020/07/24/balancing-therisk-of-pupils-returning-to-schools.html.
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Miron, G. et Elgeberi, N. (2019). Full-time virtual and blended schools: Enrollment, student characteristics, and performance. Section I. Dans A.Molnar, G.Miron, N. Elgeberi, M.K. Barbour, L.Huerta, S.R. Shafer, et J.K.Rice (2019). Virtual schools in the U.S. (p. 7–40). Boulder, CO: National Education Policy Center.
Molnar, A., Miron, G., Elgeberi, N., Barbour, M. K., Huerta, L., Shafer, S. R., et Rice, J. K. (2019). Virtual schools in the U.S. Boulder, CO: National Education Policy Center.
Pellegrini, M., Lake, C., Neitzel, A., et Slavin, R. E. (2020). Effective programs in elementary mathematics: a meta-Analysis. http://www.bestevidence.org/word/elem_math_May_26_2020_full.pdf
Ravitch, D. (2001). Left back: A century of battles over school reform. New York: Simon and Schuster.
Slavin, R. (2019). A powerful hunger for evidence-proven technology. Billet de blogue, 14 novembre. Repéré à https://robertslavinsblog.wordpress.com/2019/11/14/a-powerful-hunger-for-evidence-proven-technology/
Slavin, R., Lake, C. et Davis, S. (2009). Meta-findings from the Best Evidence Encyclopedia. Baltimore, MD, Center for Data-Driven Reform in Education, Johns Hopkins University. Repéré à http://www.bestevidence.org/resources/resources.htm
Setren, E., Greenberg, K., Moore, O. et Yankovich. M. (2019). Effects of the flipped classroom: Evidence from a randomized trial. (EdWorkingPaper: 19–113). Repéré à Annenberg Institute at Brown University: https://doi.org/10.26300/zypw-dq26
Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Paris : Retz, collection Mythes et réalités.